Jardin mon amour...

Petit reportage sur mon jardin, tourné le 3 mai 2017 par Christiane Lablancherie et diffusé le 15 mai suivant sur France 3 Normandie dans la rubrique « Découvertes ».

Extraits de « Cris dans un jardin », ode à un jardin détruit :

« Ô mon beau, mon enchanteur, mon unique entre tous les jardins de cette terre, mon herbe à frémir, ma belle épopée. Cette brume, Ô, qui s’effiloche sur les magnolias…”

***

« Ô mon unique, je sais tout de toi, tes plantules, tes plaintes, ta soif, tes faims souterraines, ton entêtement, ta petite vertu d’astéroïde. Je sais tout de toi, je t’ai fait naître, je te grandis, je te multiplie, je te propage, je te pullule, je te prolifère, je t’aime. Ah, si je pouvais te prendre dans mes bras et t’emmener, peut-être aurais-je alors la force de m’enfuir !… Mais sans toi mon merveilleux, comment partir sans toi ? »

***

Prologue : Il a broyé mon jardin…

Les bras enserrant ma poitrine, je scrute les lueurs du soir ; j’entends le bruit de la machine et guette avec effroi le crachement du moteur. Le feuillage détrempé s’écoule dans mon cou, je suis contre le mur, dans le chèvrefeuille, j’attends. La machine à broyer est en marche, je la vois parfaitement, jaune et rutilante, gueule ouverte au ras du sol. Le ciel flamboie, on a crié quelque part, je tourne le cou, affolée, la machine gronde, où a-t-on crié ?

Je m’enfonce dans le chèvrefeuille, des branches souples se referment sur moi. C’est mon sang, mon cœur – Ô mon Dieu ! – mon cœur, une boule dure qui oscille entre la terre et la machine qui détruit.

La machine a déchiré la bordure, pulvérisé les sauges, le bleu nuit éclate dans les roues et disparaît, happé par la terre. Une odeur âcre remplit l’espace. Les pivoines, les delphiniums, les angéliques, les épilobes, tous s’écroulent, heurtés, démembrés, écrasés. La sève jaillit, étoile un instant le froid du métal qui vibre. On a crié quelque part. Où ? Tout disparaît, les tiges fermes des phlox, des monardes et des grands tabacs blancs éclatent vers le ciel, craquent et retombent en miettes.

Je recule. C’est ma propre chair, veines dénudées, qui résonne entre mes tympans ; je recule, je m’enfonce un peu plus dans l’enchevêtrement du chèvrefeuille, je sens la pierre du mur derrière, le nid des pinsons est dans mon cou, j’en devine la paille sèche…

Il le broyait, massif après massif, saccageant la roseraie, rosier après rosier.
Il le broyait le soir, au coucher du soleil, pour que je ne puisse prendre des photos et plus tard, l’accuser.
Il savait que j’avais commencé à l’accuser, contre toute attente, malgré toutes les constructions d’enfermement, d’isolement et de terreur tissées par lui année après année, pour que ma soumission soit totale, que jamais un mot contre lui ne sorte de ma bouche.

J’avais commencé à l’accuser, et il voulait me tuer pour cela. Il y pensait. En attendant, il détruisait mon jardin…

Le ciel rougeoie. Le corps puissant qui dirige la machine se stabilise, les bras se raidissent aux commandes, les bottes piétinent et souillent ; au-dessus, le visage se tord.
Les roses pendent au bout des branches, lourdes de pluie et d’automne, nacrées, frémissantes.
Le premier rosier est happé sur son flanc droit, mutilé, traîné sous le fer ; le suivant reçoit les roues puis le choc de la machine qui le broie en pivotant, un autre est fauché par l’arrière, la machine, crachant, en fait une bouillie de bois dur suintant de sève qui crève vers le rouge sang du couchant. Les roses en pétales explosés crépitent et disparaissent dans la boue soulevée de la terre soudain nue.
Les roues et les lames prennent à revers, reviennent, chacun est pulvérisé jusqu’au pied de greffe qui s’ouvre et saigne, l’onde de choc gagnant jusqu’aux racines déchirées, écartelées, arrachées.
Enfouie dans le chèvrefeuille, je me noie, entraînant le nid des pinsons.

Le cri sort enfin de ma bouche.

Je dois raconter l’histoire…

PRIX DE JARDIN